Laurent Brett, créateur de génériques

Laurent Brett, Campus de la Fonderie de l’Image // 27 Novembre 2013

Le métier : Évolution du travail et nouveaux outils

Avant 2002, j’étais un graphiste exécutant, passer aux génériques est devenu plus épanouissant, je m’éclatais plus artistiquement. Tout mon passé de réalisateur, truquiste, graphiste et monteur se retrouvait fusionné. 

Aujourd’hui je suis le seul à faire ce métier à plein temps en France – on me reconnaît pas quand je vais à la boulangerie pour autant ! -. 

Les appareils photo numériques nous ont permis d’être autonomes pour la production d’images, nous ne sommes plus dépendants de la saisie par les équipes de tournage. Avec un 5d on peut créer des séquences qui s’insèrent dans un film sans problèmes de raccords visuels.

J’ai connu After Effects lorsqu’il y n’y avait pas de « ram preview » ; il fallait calculer toute la scène pour voir ce que donnait notre création – c’était pas très drôle  ! -.

Je ne suis pas partisan des propositions multiples lors de la création. Je pars du principe que lorsqu’on est bien briefé par les bonnes personnes, que l’on prend son temps pour écouter son interlocuteur, on doit revenir avec une bonne idée bien argumentée (mieux que 3 propositions auxquelles on ne croit pas à fond). On adapte et corrige ensuite si besoin évidemment…

  • Question du public : « Quel est le meilleur générique pour vous ? »

Ça pourrait être une séquence composée de 1 boule et 3 lignes ! Selon moi c’est celui qui va le mieux servir le film et mettre le spectateur dans l’ambiance. Si je posais la même question sur ton cd préféré tu serais aussi embêté que moi ! Pour citer quelques noms : David Fincher avec Se7en, Saul Bass pour les films de Preminger ou Hitchcock car ils ont du sens et apportent quelque chose au film.

Pour moi un générique ne se dissocie pas du film. S’il s’apprécie tout seul c’est super mais il a été pensé pour un film, avec un réalisateur qui a donné son avis. Certains réalisateurs sont directifs, d’autres te laissent créer complètement. Il n’y a pas de règle.

Expériences

Photographier, imprimer, rephotographier.. au lieu de passer du temps avec des plugins à vieillir des trucs, je trouve ça beaucoup plus épanouissant de chiffonner pour de vrai.

Il prend pour exemple les vrais polaroids vus dans le générique du film « Stars 80 » et les affiches de « The Artist ».

J’ai souvent écrit moi-même dans mes génériques, à la craie, au feutre, au stylo plume… C’est plus amusant que de prendre des typos sur Dafont, mais c’est moins pratique !

Sa fille colle soigneusement les stickers Paninis dans le générique 

Par exemple, pour le générique de Philibert – 40,000 entrées en France, un gros succès ! (ironique) -, on avait tout fait artisanalement, de la création d’alphabet, en passant par les dessins à la main jusqu’au tournage des pages filmées.

On voit le making off, un collègue de Laurent tourne les pages : « là il y avait un *biiip* strident pour lui donner le rythme ! ».

Devinez les premières réactions qu’on a eu ? … « Super la 3D ! ». Ça nous a fait un peu mal au coeur !

Je contemple encore mes cartons de temps en temps, qui sentent encore la gouache.

Je regarde peu ce qui se fait sur Vimeo ; je préfère de loin m’inspirer de pochettes d’albums (Peter Saville et Vaughan Oliver, cités dans son exposė) ou d’affiches. A ce propos, les affiches d’aujourd’hui sont devenues vraiment moins intéressantes qu’avant, vous ne trouvez pas ?

..Sérieusement, vous en croisez beaucoup que vous aimeriez chez vous ?

C’est à cause du poids grandissant du marketing dans la communication qui transforme de plus en plus les médias en outils uniquement promotionnels je pense.

Equipe et notoriété

Le bouche à oreille a vraiment très bien marché pour ma part. Je-n’ai-jamais-démarché-une-personne-de-ma-vie. Le cinéma, c’est un secteur où on s’introduit. On montre rarement une bande démo. On est recommandé par des gens avec qui on a travaillé sur un film et qui vont changer de production.

Là, à 3 avec les gens que je forme on est capable de plier des trucs que des boîtes de 12 feraient moins bien. J’ai réussi à développer des méthodes très efficaces mais qui me demandent beaucoup d’investissement personnel grâce à mon parcours et à mon expérience de monteur truquiste graphiste. Quand un réalisateur me parle, je comprend tout de suite car c’est moi qui vais le faire ou alors je vais transmettre tout ça à mes graphistes avec mon interprétation, suivre le projet et finaliser le tout moi-même.

Création, les embûches

Pour les débuts d’une série sur les chaînes grand public, l’audimat des premiers épisodes est crucial. Si le public ne suit pas rapidement, ils ne passeront même pas la saison entière à l’écran ; elle tombera directement dans la page des Replays. Tu peux choisir une typographie qui a du sens pour toi et derrière, un mec du marketing fraîchement sorti de l’école va t’apprendre ton métier. C’est peut-être dommage mais c’est comme cela que ça fonctionne.

Sur Canal+, on est plus libre, forcément : le téléspectateur a déjà réglé son abonnement. À moins que tous les abonnés envoient une lettre de réclamation on a pas le même rapport à la création.

J’essaye de mettre du sens dans les images que je fais. J’accorde beaucoup d’importance à relier le générique et le film en finesse. Pour « Potiche » par exemple, le spectateur doit comprendre qu’on est dans les années 70 juste avec une vue d’une joggeuse en forêt. Le tout avec un peu plus de finesse qu’en affichant 1977 en gras au milieu de l’écran.

Par exemple pour le film « Les Kairas », ça m’a pris 1 mois, avec 2 mois avant où on est partis sur une mauvaise piste sur l’idée du réalisateur. Ils me demandaient de refaire le générique de la Beuze : je leur ait dit que c’était pas une bonne idée, qu’on avait pas les mêmes plans etc.. mais les gens ne croient pas que tu as de l’expérience. Alors au final on s’est acharnés pendant 3 semaines, on a continué en voyant bien que c’était pas bien et au final c’était nul et on recommencé à zéro !

Mais ce qui est dommage c’est que le temps et l’énergie passés à faire ça c’est souvent ce qu’on ne pourra plus mettre dans la version finale par manque de temps et c’est dommage.

Les déroulants*, j’en fais de temps en temps.. c’est très très chiant à faire. On dirait que c’est juste un document Word qui défile avec 2 clés de position.. mais en fait, non. C’est le truc le plus ingrat du monde ; y’a toujours  des oublis, ou bien la musique achetée dure 3 min, tu dois organiser tous les blocs textes pour que ça rentre dans ce timing sans que ça crée de défaut de strobe** etc…

* les crédits en générique de fin

** effet stroboscopique : lorsque les textes qui défilent verticalement trop vite deviennent saccadés, car ils défilent plus vite que les règles physiques et optiques de déplacement de pixel blanc sur pixel noir ne le permettent.

La reconnaissance des pairs

Le grand public, pas tellement – que ma mère ne comprenne pas ce que je fais c’est pas grave ! -. Par contre, je trouve ça très ingrat lorsque des professionnels croient que le réalisateur a tout fait, pense tout et tient aussi la caméra. C’est fini cette époque là. Il y en a peu qui s’intéressent à QUI a réalisé le générique qui va avec le film.

On est pas plus de 7 en France à faire des génériques de manière régulière et personne ne nous connaît vraiment, même dans le milieu professionnel !

Nous sommes des digital artists, pas des techniciens. C’est ça qui m’embête, c’est que notre travail soit considéré comme une prestation technique plutôt que comme des œuvres artistiques. C’est pas demain qu’on nous accordera des droits d’auteur pour nos créations au cinéma !

Nous nous réunissons régulièrement autour de l’association We love your names pour faire connaître et reconnaître notre métier. Fondé par des enseignants des Gobelins cette association existe surtout au travers d’un site Weloveyournames.com et d’événements réguliers comme des soirées thématiques de projections de génériques.

Heureusement pour moi, je n’ai jamais eu besoin de faire de trucs « alimentaires ». J’ai toujours mis tout l’amour que j’avais dans mon travail.

C’est ce qui motive pendant les périodes plus dures : aimer ce que tu fais.

 > Site de Laurent Brett : Brettetcie.com

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