Olivier Nineuil, l’homme qui façonnait des lettres

pieds_Olivier-NineuilLui, c’est Olivier Nineuil : typographe et magicien des lettres. Il est passé le 15 janvier au Campus pour nous présenter son travail… qui est avant tout une passion.

Il a les yeux qui pétillent par dessus ses lunettes rondes, un t-shirt et un pantalon noir, des chaussure orangées pour contraster. Je crois qu’elles l’attachent à notre monde, l’empêchant de s’envoler.

Campus de la Fonderie de l’Image // 15 janvier 2013

Des lettres et des petits noms

Sa première typographie, il l’a créée en scannant l’écriture de son fils. Il a isolé et convertit chaque caractère, ce qui donna la police le « Fiston » :

Fiston_typo

– Typographie utilisée par les Editions Hatier, pour la collection Balthazar.

Un montage défile, mêlant des babillages de bébé avec une histoire qui s’écrit sous nos yeux avec la typo « Fiston ». Le fil rouge de cette vidéo est une interprétation fictive des babillages : ils sont interprétés comme étant une histoire, racontée par ce bambin (le dernier fils d’Olivier qui raconte le travail de son père).

J’accorde beaucoup d’importance au rapport entre le nom de la typo et sa forme. Par exemple, la typo « Cassecroûte »… je l’ai faite avec des bouts de pain et gâteaux.

cassecroute
Giboulettes
FLIP

Picasso

Pour la typo « Giboulettes » j’ai utilisé une pipette et un film plastique, pour « Flip » c’était du papier toilette. Je fais aussi des tests les yeux fermés et la « Picasso » est formée à partir d’un vrai manuscrit !

victorhugo
patacrepe

Il cherche des noms qui soient le « reflet des caractères ».

Ce qui me plait c’est d’introduire le dessin dans la typo, le lien entre les deux est primordial à mes yeux. Pourquoi la typo n’est pas prise en compte plus que ça dans le travail de l’écrivain ? Je rêve d’un outil typographique à destination des auteurs, la naissance d’une… « syntaxe typographique », avec les mêmes hauteurs d’x, les mêmes graisses et qui puisse être manipulé dans le travail littéraire.

grobalaize

Les commandes sont très diverses en fonction des supports. Là pour un jeu vidéo, j’ai 256 caractères à créer mais pour Accor, on passe à 600 glyphes et 6 fontes !

Certains travaux de recherches d’un an peuvent aller de 60 à 100 000€. Les droits d’utilisation varient en fonction du pays, de la durée d’exploitation etc.. Il n’y a pas pas toujours les mêmes moyens derrière, mais je le fais avec la même passion.

Grenadine

Trésors de recherches

Olivier nous affiche ensuite Corpus Typographicus, une de ses présentations qui rassemble inspirations et observations typographiques.

J’ai travaillé comme un entomologiste, en étudiant la typo dans la nature et pas comme des papillons épinglés dans un album. Ce qui me nourrit, c’est d’être hypersensible à ce qui m’entoure.

On voit défiler des caractères nés d’observations d’un ventilateur – travail sur la grille, sur les pales -, ou encore de tasses de café. Olivier possède une collection de carnets de croquis incroyable (des vrais de vrais ! avec des marque pages et des annotations en rouge pour un 2ème niveau de lecture !).

Ces carnets ce sont des espaces très personnels, on m’a poussé à les partager. Avant, il n’y avait que ma fille qui y avait accès, elle m’inspire beaucoup. Un jour Paloma en a jeté un dans l’eau, j’étais fou de rage ! Mais avec surprise, l’écriture est restée. J’ai trouvé ça très beau.

Un dessin de Saul Steinberg est projeté à l’écran.

saul-steinberg-hunter-question

Je me lève parfois la nuit pour écrire. Parfois je me demande ce que je cherche…

Il nous montre des photos de bouts de pain rassis les uns à côté des autres.

Un seul on ne le garde pas, on le jette. Avec plusieurs, ça devient magique… ça représente bien mon obsession pour les systèmes combinatoires – la typo en est un -. Ça m’est arrivé de photographier des cailloux pour en faire des lettres.

Lors d’une expo de design, je me suis amusé à faire un croquis de chaque objet à la même dimension : des tables, des chaises, et là.. hmm.. ça doit être des godasses. C’était un essai pour tout réduire en signes et j’en ai fait une fonte.

On peux se demander « À quoi bon essayer de réinventer des typos »Quand on voit toutes celles qui existent on est en droit de se poser la question. Moi j’essaye d’y croire à travers ces carnets : ils deviennent des trésors.

Le vrai drame c’est de choisir des caractères, il y en a tellement… c’est un bazar hallucinant ! Même pour quelqu’un qui travaille dans ce milieu.

Une slide de recherche défile, la foule passant sur une petite passerelle (à contrejour), les silhouettes se transforment en caractères.

J’ai aussi fait des recherches sur la silhouette et les personnages.

Il nous montre brièvement un mini enregistrement de lui en train d’enchaîner des poses devant la caméra.- « Euh c’est un peu ridicule, non je vais zapper hein, c’est ridicule »

On ne peut pas savoir ce qui va se passer quand on créé une typo, il faut faire des tests de composition et des allers/retours sans arrêt. Il ne faut pas être inquiet, c’est en avançant qu’on trouve !

Et puis il y a ce moment magique, lorsque l’on clique sur l’installation et qu’on voit le nom de sa typo dans le menu déroulant : ça me fait le même effet depuis 30 ans.

Au delà des caractères

Il faut s’intéresser aux usages, aux supports. On ne peut pas s’intéresser uniquement à la lettre en elle-même. Quand on créé une typo personnelle il faut la tester, faire très vite des applications.

Il nous énonce une de ses citations préférée :

« L’espoir de vous voir un moment m’y retient, et j’y continue de vous parler, sans savoir si j’y forme des caractères. Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime. » – Extrait de lettres de Diderot à Sophie Volland

Je suis très influencé par certains auteurs dramatiques mais j’ai une autre grande source d’inspiration : l‘instituteur de ma fille. Sa rencontre fût une révélation : Il a pour principe qu’il faut absolument faire aimer la lettre aux enfants. Il est génial. À chaque fois on doit se voir 4h et on en passe 6 !

J’aime beaucoup les logogrammes* et les logoneiges. Ça a commencé avec des Haikus écrits dans la neige.

* « Unique graphème notant un mot entier » (source).

logoneige-Groen-120116

Exemple de logoneige (source)

La lecture c’est un cheminement, je travaille beaucoup là-dessus.

Il nous montre des recherches de tracés de ses parcours quotidiens : monop, bistrot, école...dont il a fait une police.

Je ne sais pas à quoi ça sert, mais heureusement qu’on fait encore des choses sans savoir à quoi elles servent.

Parfois je fais des pages de lignes ; travail du grain etc.. et j‘ai découvert la lecture rapide, tirée de recherches scientifique. Alors je me suis demandé comment la ralentir, ce qui a donné une typo… diluée !

Il nous montre un test d’écriture au feutre, qui replié sur une autre page donne des fantômes de lettres par absorption.

Ce que je recherche toujours, c’est l’émotion.

Lettres et identité

Des séries de « totems » s’affichent.

Ce sont des « bandes de matières ». Le principe est de substituer les mots par ces totems – j’en ai créé plus de 8000 –. Les textures sont très peu explorées dans le domaine de la typographie, il reste beaucoup de choses à faire.

Très jeune je m’intéressai déjà aux lettres ; j’écrivais des calligrammes à mes frères et soeurs. Là par exemple j’avais scénarisé l’histoire du A qui voulait voler.

Des illustrations d’un ‘A’ personnifié passent à l’écran.
 

Comme pour les visages, des « A«  y’en a pas deux pareils : mais y’a une identité derrière. On est tous issus du même peuple et animaux, mais on est tous différents. »

Je me suis aussi intéressé aux traits des visages, je me suis dit qu’on pouvait faire une écriture avec ça.

On voit des traits et ronds reliés entres eux, formant des expressions.

Je me suis posé la question des lettres squelettes, que l’on habillerait avec des textures plaquées automatiquement.

Avoir une idée c’est une chose, mais on ne se rend pas compte de son potentiel tnat qu’on ne l’a pas testé, surtout en typo.

Il nous montre successivement :

… une série de mots inventés pour « . Ils lui servent de point de départ pour créer certains typos.

Je les ai créés pour décharger de sens les noms que je donne à mes caractères.

… une série de typos triées par type d’entreprise et d’agences.

On en revient à cette question d’identité, regardez cette typo réalisée pour une compagnie de pompes funèbres !

… une série de fausses signatures.

Ils me demandaient d’inventer la signature de leur marque. Là on est à fond dans l’identité !

Les briefs et les retours sur les commandes de typos sont souvent collectors : « Hmm beaucoup trop crémeux », lors d’un retour pour La Laitière ou encore « Trop lourd, trop léger », dans une discussion avec Air France.

On ne peut pas tout faire dans une typo, il faut juste pouvoir la reconnaître, créer une sorte de prégnance* qui fait que lorsqu’on la voit on la reconnait.


Prégnance /pʁɛɡ.nɑ̃s/ féminin (nom commun)(Psychologie) Comportement d’une organisation psychologique privilégiée (sa force, sa stabilité, sa fréquence…), parmi toutes celles possibles.

La prégnance renvoie à une notion de force, qui impressionne, s’impose à l’esprit. On peut opposer à la notion d’illusion proposée par les mystiques le caractère prégnant de ce monde que l’on peut voir, toucher, sentir, entendre exister.


Olivier nous cite des paroles d’un moine taoïste prénommé Tchouang-Tseu :

« L’autre nuit, (…) j’ai rêvé que j’étais un papillon. (…). Soudain, je me réveille, et me voilà redevenu moi-même (…). Maintenant je ne sais plus si je suis un homme qui a rêvé qu’il était papillon ou si je suis un papillon en train de rêver qu’il est un homme ! »

Pour des typo étrangères, comme le cyrillique, j’ai appris à discerner un bon curling. Au départ on me disait que les signes étaient impossibles à lire, pourtant ça me semblait parfaitement lisible !

Il faut faire attention aux dimensions, pour notre ‘E’ par exemple : les barres horizontales sont plus fines que le tronc, car il y a un effet d’optique qui les feraient paraître trop grosses.

Une fois j’ai aperçu des emballages La Laitière dont les caractères avaient un espacement à 5, ce qui séparait les liaisons… Aaaaah quel dommage.

Inspiration et méthodes

Le sujet de l’inspiration est un peu délicat. La manière de travailler est importante, chacun doit trouver la sienne, quelque chose qui nous corresponde. Une espèce de voie où l’on se sentirait à l’aise, cohérente avec ce que l’on aime.

Les typos, je les trouve toutes intéressantes, pas forcément les caractères en eux-même mais plutôt la démarche créative qu’il y a derrière. J’essaye de voir pourquoi ils (ou elles) ont fait ça.

Un étudiant évoque un outil de création et de paramétrage de typographie.

Moi je me demande, est-ce que c’est avec des curseurs que l’on créé une typo ? Je ne sais pas si c’est hyper créatif, en tout cas ce n’est pas ma méthode… mais ça peut sûrement correspondre à des besoins.

(…) Ce matin par exemple, je me suis levé tôt, j’avais du travail de 4h à 7h.

Cet instant au petit matin,

toute la créativité nous appartient,

pendant que dorment nos voisins.


Quand il parle il regarde souvent en l’air, comme pour rattraper toutes ces idées qui flottent, au-dessus de lui. Un de ses pieds oscille sur la tranche, comme suspendu entre notre monde et le sien. Je me demande comment c’est là-bas… on en a vu un petit bout cet aprèm en tout cas.

Au milieu des gens,

ces lambdas passants,

des passionnés singuliers,

éclatants et inspirés.

Olivier-Nineuil_Conference

Crédit Photo : Campus de La Fonderie de l’image

Liens

 

2014-01-16 13.04.16

PS : Ta conférence a accéléré la mort de mon premier carnet de l’année. Merci Olivier ^^

 

 

96 thoughts on “Olivier Nineuil, l’homme qui façonnait des lettres

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